Des pas dans les nuages
Salah Stétié
Dans son dernier livre, "Une ville dans le ciel", Issa Makhlouf raconte un séjour qu'il fit à New York pour une mission culturelle à l'ONU. De cette maison centrale de la planète - décevante maison, déchirante et déchirée planète - il tisse sa toile d'araignée de parole vers tous les cercles d'une cité effectivement bâtie dans le ciel et où, venu du ciel, surgit un jour la tragédie quand les deux tours jumelles s'écroulèrent au choc sinistre d'avions-obus. Issa raconte ce qu'il voit, ce musée de ruines par exemple, puis il ferme les yeux, puis les rouvre sur des arbres, des parcs, des bassins, des femmes, des souvenirs obsédants, des mythes de toute nature liés à la poésie et à cette autre forme de poésie qu'est la peinture, que sont tous les arts du visible. Mais pour ce poète, nourri de culture occidentale, mais tout allaité de vive spiritualité comme l'était avant lui son compatriote Gibrane Khalil Gibrane, il n'y a pas de frontière entre visible et invisible, l'un traversé par l'autre, l'un dans l'autre. Alors les courts récits, les rencontres et les fables, les faits de la vie et ceux venus de la mémoire, tout cela qui est sentiments, idées, intuitions philosophiques, souvenirs, se transforme alchimiquement en poème et tout se met à tendrement délirer dans la langue soignée et soigneuse de cet Oriental mal guéri de son lointain Liban. Il écrit comme on rêve. Il marche sur le pavé de la ville comme si son pas traversait des nuages.
(28 juin 2014)