Article des amis de Max Jacob,

    paru dans Lettres et Mots

 

Lettre aux deux sœurs, Issa Makhlouf, trad. Abdellatif Laâbi, éd. José Corti.

« Les mots n’ont rien à craindre de leur auteur ». Il faut donc attendre la fin du livre pour comprendre d’une part le titre : s’approprier le singulier de vingt-deux séquences ne formant qu’une seule lettre ponctuée de méditations. Et d’autre part, comprendre la référence aux deux sœurs, alors que se joue, comme au théâtre, une rupture amoureuse. Cette attente aiguillonne la lecture et souligne l’universalité de l’aventure amoureuse.

L’écriture de Makhlouf, écrivain, poète, sociologue né au Liban vivant à Paris, emprunte des chemins de traverses. Le livre propose des souvenirs, des réflexions, des références livresques, musicales, ou artistiques, mais s’y intercalent des éléments disparates qui font le charme de la pensée en germe, de la conversation à bâtons rompus, celle précisément où se trame une part de l’essentiel. La lettre a ainsi le ton primesautier de la conversation, partant dans une direction, puis dans une autre et finalement constituant une histoire centrée sur le rapport à l’autre et à soi-même.

Ce texte échappe néanmoins au narcissisme qui aurait pu l’assaillir par l’ouverture au réel, par la déambulation d’un « piéton de Paris », par la passion du photographe voulant saisir des instants. Cette prise en main dans l’évocation écrite et le souvenir montre aussi que le réel nous échappe. Lecteurs guidés vers un ailleurs sentimental : « Des doigts atteignant la perfection partaient de sa paume en direction du large pour en configurer le fini et l’infini. La main [qui] palpe et étreint, tremble et s’attendrit, sonde le plus profond en nous, et de l’eau écarte les pétales. Cette même main que nous voyons en rêve et passons notre vie à rechercher ». La main est la main de la rupture : « Laissons partir celui qui veut partir. Ne voyons-nous pas qu’il est gravé en nous tel qu’il était à la fleur de l’âge lorsqu’il fut ? Celui qui part, laissons-le partir en paix ». Non pas comme une fatalité mais comme une étape qui ouvre vers un ailleurs, une lettre à jamais inachevée : « Ce que je voulais t’écrire n’a jamais encore été exprimé ».

 

Lettres aux deux sœurs est le second volume de Issa Makhlouf aux éditions José Corti qui avaient déjà publié Mirages en 2004.

(Lettres et mots, Les amis de Max Jacob,n°8 p.6 ,juin 2009).

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