Article de christophe Henning
Paru dans Etudes
Lettre aux deux soeurs
« Que tu t’approches de l’amour signifie, implicitement, que tu t’approches de son contraire. Le feu qui embrase la peau du tigre t’abuse. Il te distrait du tigre. » La plume d’Issa Makhlouf est riche, elliptique, envoûtante. Dans ce livre, il conjugue des fragments, mêlant ses réflexions à la correspondance avec une femme. Peut-être deux : la soeur de la lectrice – à moins que ce soit le lecteur – jette un oeil, par dessus l’épaule, et devient le témoin décalé de cet échange confiant, mystérieux, qui aborde la rude question d’une rupture amoureuse, et du sens de l’existence. Ce n’est pas du voyeurisme : seulement l’intrusion complice, bienveillante, qui entre dans une intimité déboussolée, hésitante, maladroite et pourtant profondément humaine. Il y a l’étrangeté de cette situation, de ces confidences tourmentées. Il y a, aussi, ce que le récit révèle : « Dans les histoires que nous racontons, nous découvrons parfois des aspects de la réalité auxquels nous ne prêtons pas attention quand nous y sommes confrontés pour de vrai. » Se mettre à nu. Laisser percer les sentiments, dans leur rugosité, leur violence, leur force. Ecrire devient le miroir d’une quête d’absolu, d’une confrontation personnelle avec l’autre, avec le monde. L’amour est à la fois rupture et indéfectible empreinte. La lettre capte des bribes, entre absence et désir, retrouvailles et désillusions. Il faut se laisser porter par la poésie énigmatique d’Issa Makhlouf. Laisser les mots résonner, et s’étonner patiemment : « Que fera donc l’ébloui avec l’objet de son éblouissement» ?
Christophe Henning
Etudes (Revue de culture contemporaine), Avril 2009