Égarements

 

 

- I -

 

Je me suis assis j’ai dessiné quelqu’un dans une salle 
d’attente puis un homme qui attendait une femme une femme qui attendait un enfant  des enfants qui attendaient d’autres enfants   

J’ai dessiné une chambre obscure œil dans les ténèbres regard solitaire que faire dans l’obscur ?

J’ai dessiné un soldat endormi rêvant qu’il ne serait pas un héros.
Qu’ai-je dessiné d’autre ?

 

- II -

Ne vois-tu pas

Ces magiciens et ces jongleurs
Suivis de poètes en foule
Qui risquent des paroles confuses et s’en vont ?

Les jeunes femmes, amantes du marbre et du jasmin,

Surveillent leur ventre, attendent les douleurs.

 

- III -

 

Voyez comment cet oiseau brûlant d’espace se moque de nous tous. Et ce corps lapidé qui reste indifférent.

Pendant mon exil, l’aube au balcon viendra doucement étancher sa soif.

Retour d’errance si je murmurais au bourreau d’avoir un peu pitié ?

Qui dépose, près de chaque nouveau-né, comme une bourse, ce que sera son âme ?

Que les femmes s’en aillent très loin que très loin elles accouchent et que très loin soit la mort pareille à cet oiseau plus preste que le son.

 

- IV -

 

Au couchant
M’abandonne une lueur violine.
Des parfums me hantent d’îles désertes
Des étoiles filent en pluie sur les tours.
Un tintement de cloches s’épanche
Dans le fleuve.
Une femme enceinte scrute l’horizon.

 

- V -

 

Couche-toi sur ma terre ô foudre de beauté
Voici une femme qui passe entre des lèvres jointes

Je rassemble dans mes paumes

Ta nudité entière
Aux débris du miroir

Furtivement un souffle d’air

Emplit les lieux
De ton absence.

 

- VI -

 

Après la foudre la lumière
rassemble ses forces
Après la tempête
la forêt compte ses arbres.

Ceux qui viennent sans venir

Présagent le voyage.
Ceux qui partent sans partir…

 

 

- VII -

 

Elle me guide par la main vers sa voix. Elle chante et pousse les blés. L’étoile de mon aube se cache derrière l’attente. Je lui fais fête d’un astre immense. L’oiseau tarde le rendez-vous du matin se recule.
Dans la nuit son halètement s’élève comme un mât Elle allume un flambeau dans le songe un flambeau dans l’espace que son frisson ne se cambre pas au rêve.
Elle me guide par la main vers sa voix Je surprends ses dents en sa nudité entière. La blessure se creuse aux premières heures de la nuit, tendresse ouverte à des lointains où jamais temps qui passe ne rencontre âme qui vive. La rose s’ouvre jusqu’au rouge primordial et ultime.
Sa voix parfum de midi. Sa voix d’un fer subtil vint me choisir une mort. Son neuvième mois me consume… et la marque de son pas à venir.

Cette femme je l’ai rencontrée

En elle ce qui fut en moi de femme
Voici un long temps de cela.

 

- VIII -

 

J’arrive trop tard,
D’autres temps m’ont précédé et des rivages
Et leur écume.

Ici l’huître perlière s’endort en sa blessure,

Les cloches rouillées signent
Le ciel
Et demandent aux lieux témoignage :
« Ceux qui viennent d’où naît le soleil
Sont-ils des Dieux ou des assassins ?»

Les conquérants précipitent du haut

De leur stupeur les nouveau-nés 
Tout juste baignés par leurs mères.
Ils resplendissent d’or
Sans souci des corps déchirés.
Ils portent leurs chandeliers nocturnes
Comme des poignards.
Leurs autels, leurs statues de plâtre
S’élèvent vers des soleils apprêtés pour le sang.

J’arrive trop tard,

Après l’écume qui révèle la trace des morts
Sur le sable.
Ni les arbres ne me connaissent ni le condor planant.
Mais moi je le sais :
« Le palmier bleu est centre de la terre,
L’aube navigue sur la rosée,
La rosée est liqueur de femme,
La cataracte imite le saut des anges.»

Que dit l’eau,

Que rapportent la pierre
Et l’herbe sur laquelle ils ont traîné les corps ?

Ah si la brise surgie des profondeurs

Pouvait raconter !

Il y a toujours des continents inexplorés,

Un sang qui ne coule pas encore,
Un or au-delà de l’or.

 

 

- IX -

 

Seule
Une statue
Sait où porter
Son pas
Lorsqu’elle décide
De fuir le Jardin. 

(Traduction : Jamel Eddine Bencheikh, éd. André Biren, Paris 1993)