pour saluer Issa Makhlouf 

(A propos de Lettre aux deux sœurs)

Salah Stétié

 

 

Ce livre de poésie, joliment sensuelle et pure, se lit avec facilité. Il se lit tantôt comme une histoire, tantôt comme un livre de sagesse. L’histoire est celle d’un couple inspiré, désirant, plongé tout vif au plus chaud de l’amour dans ses émerveillements et ses ambiguïtés, ses illusions et ses désillusions, ses soudures et ses arrachements. La sagesse est dès lors une sorte de morale allégée et lyrique et qui tire son efficacité, disons plutôt sa grâce, du récit étrangement linéaire, comme sait le faire le mythe, qui nous est raconté en chapitres courts, tout à la fois fiévreux et alanguis, dont l’esprit des Mille et une nuits n’est pas éloigné. Chapitres (22 en tout) rayonnants et pluvieux, avec un fleuve et des jardins, des crépuscules du matin et des crépuscules du soir, des souvenirs et des repentirs, une bifurcation désolée vers tel autre amour en impasse, des signes et des références littéraires ou artistiques, un mélange où l’âme et les éléments, le sein sacré et la vulve candide, expriment leur continuité vivante au rythme d’une intense rêverie en qui le cœur et la pierre (la pierre paysagée aimée par Roger Caillois) cèdent au miracle de se mirer l’un dans l’autre. Tout cela finit par former, de page en page, dans la minceur comme aérienne de l’ouvrage, et avec beaucoup de charme, une manière d’épaisseur ontologique, mais d’une ontologie ailée. Lisons, pour nous en convaincre, la toute dernière phrase, inscrite en italique, c’est-à-dire puisée dans le livre de sagesse : « Plane oiseau. Plane bien haut. Loin. Dans toutes les directions. / N’arrête pas de battre des ailes. Ne t’arrête pas, oiseau ». 

Lettre aux deux sœurs de Issa Makhlouf est, le titre le dit assez, une longue missive adressée, non sans romantisme, à l’Aimée. De poètes allemands du XIXe siècle avaient déjà eu recours à ce même type de confession mystérieuse et lointaine. À sa façon, toute pénétrée de son Orient natal, le Libanais Issa Makhlouf est l’étincelant héritier de ces grands aînés. J’aime bien l’un et les autres, de tout mon cœur. À propos, pourquoi les deux sœurs, et pourquoi ce retour du double ? Je vous en laisse amicalement la surprise.

Salah Stétié

Lien vers la page consacrée à Lettre aux deux soeurs

Lien vers la page d'extraits de Lettre aux deux soeurs