La ville qui s’endort à l’ombre de son histoire

 

Il y a des villes dont le nom seul dégage une magie. Damas en fait partie. Ville de saint Paul, des Mille et Une Nuits, de la mosquée des Omeyyades et ses superbes mosaïques, des souks, des maisons anciennes et de leurs fontaines d’eau, Damas se trouve également dans les yeux des poètes et des voyageurs.

Damas, cependant, fait partie aussi de toutes ces villes dont la gloire relève du passé, telles Athènes, Bagdad, le Caire, Alexandrie et Fès. Villes qui ressemblent aujourd’hui à des trésors enfouis, à des livres précieux, mais fermés, à la différence de Rome, de Florence, de Venise, ou de Bruges, ces villes-musées qui vivent pourtant au rythme de la modernité.

Il y a des villes qui s’éclipsent et meurent. D’autres, qui brillent de mille feux. D’autres aussi, invisibles, comme celles d’Italo Calvino. Villes réelles et villes imaginaires, villes du passé et métropoles du futur, ces villes ne doivent pas, ne devraient pas, en aucun cas, faire abstraction à l’individu qui les anime, car l’histoire individuelle est intimement liée à leurs histoires.

Damas, à l’instar de nos grandes villes arabes, appartient toujours au passé, mais sans la lueur de ce passé. La capitale de la Syrie n’a cessé de s'accroître. Toutefois, une ville ne se caractérise pas seulement par son urbanisme, mais aussi, et surtout, par sa capacité à confronter les défis de la mondialisation et de la modernité, à trouver une place dans le monde d’aujourd’hui, sans perdre de vue son avenir. Elle se caractérise également par sa politique culturelle et éducative, par le niveau de ses établissements scolaires et universitaires, par ses institutions et ses centres de recherches, par sa capacité de promouvoir l’esprit critique, l’ouverture et la tolérance. Dans ce contexte, le droit de créer et de s’exprimer librement dans une société civique et démocratique, s’avère aussi indispensable que le pain.

Sans cette liberté, la vie serait une vie morte. Sans cette liberté, tout devient morose, même la lumière qui émane des plus beaux monuments.

Damas s’endort à l’ombre de ses jasmins et de sa gloire d’antan.

Il est bien temps qu’elle se réveille !

Issa Makhlouf

(In Paris, Damas : regards croisés, Europia, Paris 2008.)